La recherche française à la croisée des chemins :
entre sous-investissement et quête de souveraineté technologique
Entretien avec Frédéric Grillot, enseignant-chercheur au Laboratoire de Traitement et Communication de l’Information (LTCI) de Télécom Paris, équipe GTO (Télécommunications Optiques), décembre 2025
Le désengagement de l’État met-il à mal les capacités de la France à innover ? Frédéric Grillot fait plus que répondre à cette question dans le podcast : il propose plusieurs pistes pour inverser la tendance.

Ce podcast se situe dans le prolongement d’un entretien que Frédéric Grillot nous avait accordé en janvier 2024, dans lequel il déplorait déjà le sous-investissement chronique dans la recherche en France, et plus globalement une mauvaise compréhension du fonctionnement de la recherche par les pouvoirs publics et le manque de souplesse de notre système de financement.
Propos recueillis par Isabelle Mauriac
Podcast
Retrouvez cette interview en format audio dans le cadre des podcasts Télécom Paris Ideas :
Podcast enregistré le 18/11/2025 par Michel Desnoues, Télécom Paris
Un système en question
La France, longtemps fière de son excellence scientifique, voit aujourd’hui son modèle de recherche mis à mal par un sous-investissement chronique et une bureaucratie asphyxiante. Frédéric Grillot, enseignant-chercheur à Télécom Paris et spécialiste de photonique, tire la sonnette d’alarme : « La France investit seulement 2,2 % de son PIB dans la recherche, contre 3,1 % pour l’Allemagne, 5 % pour la Corée du Sud, et près de 3,5 % pour les États-Unis. Ce retard se traduit par une baisse de notre capacité à innover et à attirer les meilleurs talents. »
Les chiffres récents confirment ce constat : la France se classe désormais 13e mondiale en nombre de publications scientifiques, devancée par la Corée du Sud (8e) et l’Italie (7e), alors qu’elle était 6e il y a quelques années. Pire, dans des domaines stratégiques comme le quantique, les batteries ou l’hydrogène, la Chine publie dix fois plus que la France, et l’Allemagne deux fois plus.
La recherche fondamentale en péril
Le cœur du problème ? Un déséquilibre croissant entre recherche fondamentale et recherche appliquée. « La France mise beaucoup sur les start-up et le transfert de technologie, comme si l’innovation devait émerger automatiquement. Mais sans une recherche fondamentale solide, il n’y a pas de rupture technologique possible », insiste le chercheur. Or, les budgets alloués à la recherche fondamentale sont en berne, et les jeunes chercheurs peinent à trouver des postes stables et bien rémunérés.
L’exemple italien est révélateur : avec seulement 1,5 % de son PIB investi dans la R&D, l’Italie publie davantage que la France. Pourquoi ? « Leur système est plus sélectif et plus collaboratif à l’international. En France, la fragmentation entre universités, grandes écoles et organismes publics (CNRS, CEA, INRIA) crée une inertie préjudiciable », analyse Frédéric Grillot.
Le labyrinthe des financements
L’Agence nationale de la recherche (ANR), guichet unique du financement public, est pointée du doigt pour son manque de souplesse. « Les taux de succès des appels à projets tournent autour de 24 %, et les dépôts ne sont ouverts qu’une fois par an. C’est frustrant et inefficace », déplore le chercheur. À titre de comparaison, les États-Unis disposent d’une multitude d’agences (NSF, NIH, DARPA…) avec des appels permanents et des budgets colossaux.
La bureaucratie et l’évaluation quantitative, souvent critiquées, pèsent lourd sur le quotidien des chercheurs.
Crédit impôt recherche (CIR) : un dispositif à réformer
Le CIR, qui coûte plus de 7 milliards d’euros par an aux finances publiques, est lui aussi dans le collimateur. « C’est une bonne idée sur le papier, mais le dispositif est mal ciblé. Certaines grandes entreprises l’utilisent pour de l’optimisation fiscale, sans réel impact sur la R&D », critique le chercheur. Une réforme est en cours, mais son efficacité reste à prouver.
Attractivité en berne
La France peine à retenir ses talents et à en attirer de nouveaux. Les salaires des jeunes chercheurs (2 000 à 2 500 € nets en début de carrière) sont bien inférieurs à ceux proposés en Allemagne, en Suisse ou à Singapour.
Quelles solutions ?
Pour inverser la tendance, Frédéric Grillot propose plusieurs pistes dans ce podcast :
- Augmenter significativement les budgets pour atteindre au moins 3 % du PIB, comme le préconise l’Union Européenne.
- Réformer l’ANR pour plus d’agilité et de transparence, avec des appels à projets ouverts en continu.
- Soutenir davantage la recherche fondamentale, sans laquelle aucune innovation de rupture n’est possible.
- S’inspirer des modèles étrangers (Allemagne, Suisse, Singapour) qui allient stabilité des financements, collaboration public-privé et attractivité pour les chercheurs.
