Télécom Paris Ideas
Crises climatiques et résilience des populations

Améliorer la gestion des crises climatiques et la résilience des populations

Entretien avec Caroline Rizza, enseignante-chercheure en Sciences de l’Information et de la Communication, mai 2025.

Mots-clés : initiatives citoyennes, prévention, attentats, catastrophes

Caroline RizzaAlors que les catastrophes climatiques se succèdent à un rythme de plus en plus rapide, Caroline Rizza apporte son regard de chercheure sur la gestion de crise et la résilience des populations confrontées à ces aléas climatiques de plus en plus violents et récurrents, et sur le rôle que le numérique peut y jouer.

Le Conseil de l’Europe a adopté les recommandations présentées par Caroline Rizza fin 2023 sur l’utilisation du numérique et notamment des médias sociaux et des applications mobiles pour la communication de crise, dans le cadre des menaces climatiques. Dans le même temps, elle est devenue chercheure associée au laboratoire ACROSS de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) à Hanoï au Vietnam.

Propos recueillis par Isabelle Mauriac

Podcast

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Podcast enregistré le 14 janvier 2025 par Michel Desnoues, Télécom Paris

Des recherches qui font écho aux crises actuelles

Vous avez obtenu en 2024 un financement (projet Fonds Équipe France) de l’ambassade de France en Indonésie en collaboration avec l’ambassade de France au Vietnam pour la mise en place d’une « Stratégie de recherche transdisciplinaire sur la gestion de crise et la résilience des populations » dans ces territoires.

Oui et j’ai également obtenu un projet ANR (Agence Nationale de la Recherche) visant à définir une « approche transdisciplinaire des risques émergents sur un territoire pour repenser la gestion de crise face au réchauffement climatique » qui débute en septembre 2025 et qui sera mené en collaboration avec deux équipes de l’IRD à Montpellier et à Hanoï, avec l’équipe de génie industriel de l’IMT Mines Albi, avec qui j’avais déjà collaboré lors du précédent ANR MACIV sur l’intégration des initiatives citoyennes naissant sur les medias sociaux lors d’un évènement majeur, les entreprises Emerause et Sildaro spécialisées en gestion de crise et des acteurs publics et et de la société civile dont des services d’incendie et de secours, les ministères de la Transition écologique et de l’Intérieur et l’association VISOV (volontaires numériques en gestion d’urgence).

Face au réchauffement climatique et ses impacts sur le territoire, quel qu’il soit, je souhaiterais pouvoir créer un réseau d’acteurs experts transdisciplinaires (c’est-à-dire à la fois académiques et praticiens mais aussi de disciplines alliant les sciences humaines, les sciences informatiques, la data, le technique, etc.) et à l’international car, l’actualité le démontre, un regard plus large est nécessaire pour saisir l’ensemble des enjeux. Chaque discipline, chaque praticien porte un regard complémentaire sur le problème et une solution plus adéquate est obtenue lorsque ces visions parfois antagonistes réussissent à se croiser, à se parler et à collaborer.

Les projets que je coordonne autour de la résilience du territoire face au réchauffement climatique se fondent sur l’idée que les risques émergents sur un territoire, pas forcément nouveaux mais plus violents et plus récurrents, nécessitent ou constituent une opportunité de repenser la collaboration interservices mais également et peut-être même surtout avec les citoyens lors de la gestion de l’évènement. Et cela ne peut se faire qu’en amont de la crise.

Depuis se sont succédé malheureusement des incidents climatiques terribles en 2024 : pour n’en citer que deux, les inondations à Valence (Espagne) et le cyclone Chido à Mayotte. Nous allons voir comment ces événements font écho à vos recherches sur les nouveaux risques sur les territoires et leur gestion… Et si vous y avez trouvé une grille de lecture et peut-être même des pistes de solution à ces crises de plus en plus fréquentes et violentes du fait du réchauffement climatique ?

À ce titre, nous avons précisément testé, pour la première fois en janvier 2025, l’approche que je souhaiterais développer : il s’agit d’adapter la modélisation d’accompagnement, notamment utilisée dans les contextes de raréfaction des ressources, à la gestion des crises. Cela s’est fait dans le cadre du projet RESPORE « résilience des populations face aux risques émergents d’un territoire » financé par l’IHEMI (Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur).

D’abord un exercice de sécurité civile a permis aux acteurs de tester le nouveau plan de sauvegarde de la ville de Poissy (Yvelines) et d’éprouver la collaboration inter-services avec une dimension citoyenne via la réserve communale et un scénario de crue extrême proposant des initiatives citoyennes.
Puis notre premier atelier de modélisation d’accompagnement autour du citoyen et ses rôles dans la gestion des crises a permis de dégager de premières dynamiques et interactions qui seront approfondies avec l’IRD lors du projet ANR que j’ai déjà mentionné. Et en avril 2025, nous avons réitéré l’expérience dans le cadre du projet STRAP à Jakarta (Indonésie) avec des acteurs de la gestion de crise dont les autorités locales et du tourisme à Labuan Bajo aux îles Komodo.

Modéliser le rôle des citoyens dans la gestion des crises

Partons de votre démarche et des crises auxquelles vous vous êtes intéressée, votre recherche est « appliquée », en l’espèce à destination des décideurs publics. La recherche qui va permettre d’appuyer des politiques publiques est nécessairement pluridisciplinaire, c’est le policy making ?

Travailler directement avec les acteurs de la gestion des crises et les autorités locales peut présenter des biais ou des limites, les temps de recueil de données, d’analyse, ne sont pas les mêmes ; il y a un risque d’instrumentalisation du terrain mais également de la recherche – de nombreux garde-fous doivent être déployés, mais j’aime à penser que la recherche publique se doit d’éclairer les champs de l’action publique (à ce titre j’avais fait partie en 2021 de la mission sur la modernisation de la culture du risque en France auprès de la Ministre de la Transition Écologique d’alors Mme Pompili). La nature des crises auxquelles vous vous intéressez a évolué ces dernières années.

Les premières crises auxquelles je me suis intéressée étaient des crises à cinétique rapide : inondations, feux de forêt. Le covid a bousculé cette notion car il a duré… Les études menées notamment sur les médias sociaux ont dû être adaptées ou du moins ont montré des comportements spécifiques du citoyen face une incertitude qui a duré – je pense à nos études sur Wikipédia. Le réchauffement climatique fait partie de ce type de crise latente dont les effets aujourd’hui, les événements, sont de plus en plus violents et récurrents sur un territoire.
Le Vietnam est un des pays les plus touchés par le réchauffement climatique, travailler sur ce terrain m’a donné une autre vision de la culture du risque.
En décembre, nous étions dans la région de Quảng Bình touchée par des typhons de plus en plus violents et des crues qui ne sont plus rapides mais s’installent dans le temps – obligeant les populations, déjà bien préparées, à s’adapter.

Il s’agit pour nous de comprendre cette culture du risque mais également de considérer la communication de crise sur le terrain et la place qui pourrait être faite au numérique, notamment lorsqu’il s’agit d’atteindre les touristes.

Comment peut-on mieux préparer les populations sur un risque émergent dans une population donnée ?

Nous menons la même étude sur les îles Komodo en Indonésie ; ce qui intéresse les ambassades de France dans ces projets est à la fois soutenir et renforcer la collaboration entre les équipes de recherches françaises et des pays d’accueil et d’améliorer, de sécuriser en ce qui me concerne, la communication de crise en cas d’événement majeurs vers les touristes.
Ce qui est intéressant dans cette étude est qu’elle vient diversifier cet « acteur citoyen » que j’appréhende en France, finalement comme l’habitant d’un territoire. Or, on voit bien que l’été, le citoyen en France peut être en vacances sur un territoire qu’il ne connaît pas bien en termes de risques, de procédures d’évacuation, etc.

De mon point de vue, la préparation des populations passe par la création de communautés résilientes à définir sur un territoire donné et qui pourront prendre le relai des acteurs de la gestion des crises, sans se mettre en danger.

D’une façon générale, vous avez travaillé sur le rôle des espaces numériques démocratiques et médias sociaux avec l’idée que plus les acteurs seront présents en amont et le jour J, plus ils pourront répondre aux questions et rassurer. Cela demande un changement de culture de la part des institutions publiques mais aussi des citoyens ?

Cette nouvelle collaboration, qui passe aussi par le numérique, demande effectivement un changement de culture de la part de tous les acteurs impliqués et notre hypothèse dans l’ANR à venir est que…

… la modélisation d’accompagnement peut être une nouvelle méthode de formation et d’accompagnement des citoyens et des acteurs de la gestion des crises.

C’est d’ailleurs ce que nous avions déjà pressenti lors du projet financé par la fondation MAIF sur les applications aux gestes qui sauvent et la création d’une communauté de citoyens sauveteurs sur la ville de Genève (Suisse) en collaboration avec les Hôpitaux Universitaire de Genève et la centrale d’appels 144.

Sur les nouveaux espaces numériques démocratiques, à l’heure où l’on vit un débridage des règles de « fact-checking », un changement de culture apparaît comme essentiel – être présent, occuper l’espace de communication pour privilégier de nouveaux canaux de communication et enrayer toute rumeur sur un événement.

L’avantage du numérique… et de la durabilité

Ces pistes seraient-elles transposables à des crises comme celles de Valence et de Mayotte dans le cadre de risques de crues rapides ou de cyclones, ou aux nombreux épisodes de feux de végétation que nous avons connus en France en 2022 ? Et à l’inverse, ces derniers épisodes vous ont-ils fait réfléchir ou même apporté des clés de solutions ?

À propos de Valence, nous nous sommes émerveillés de la solidarité et de la mobilisation des citoyens pour nettoyer leur ville. Dans une étude que j’avais réalisée lors de mon passage à la Commission Européenne sur les inondations de Gênes (Italie) en novembre 2011, nous mettions déjà en évidence les similitudes entre la solidarité exprimée par les jeunes pour nettoyer leur ville en 2011 et celle des jeunes des années 1970 lors des précédentes inondations à Gênes.

La différence est que ces nouveaux espaces numériques peuvent être utilisés pour le meilleur, l’organisation du nettoyage d’une ville, comme pour le pire, des campagnes de désinformation pour déstabiliser un territoire, un État. Mais les élans de solidarité propre à la nature humaine existent et existeront toujours.

Pour aider les populations confrontées aux catastrophes naturelles conséquentes au réchauffement climatique à repenser leur prévention et leur gestion et à améliorer leur résilience, est-il possible de modéliser des solutions et comment ?  La « Sustainability Science » pourrait-elle relever ce défi ?

Les sciences de la durabilité sont interdisciplinaires et elles peuvent permettre de comprendre les systèmes de crises dans leur globalité en intégrant leurs dynamiques et leurs acteurs. Elles peuvent également permettre de générer des connaissances sur cet objet d’étude qui évolue.

Les crises successives accélèrent ou ralentissent la réalisation des objectifs de développement durable. Et donc appréhender la résilience des populations en intégrant les sciences de la durabilité contribue à améliorer le système malgré l’incertitude :

  • co-construire en prévention et en réponse à l’événement en tenant compte de la pluralité des acteurs et de la pluralité des actions ;
  • se coordonner entre acteurs et lors de chacune des phases ;
  • intégrer la gestion des émotions, la prise en compte de valeurs morales et éthiques,
  • discuter des enjeux de légitimité, de pouvoir et de responsabilité des acteurs impliqués,
  • capitaliser sur l’événement et sa gestion grâce au retour d’expériences et, je pense, cette nouvelle méthodologie que nous mettons en place.

 

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