Révolutionner la chirurgie : l’IA au service de l’imagerie médicale
Juan Pablo de la Plata Alcalde, CEO de la start-up Replico (incubateur de Télécom Paris), juin 2025
Replico remporte d’ailleurs le prix « Best EULiST Spin-Off 2025 » et est présente à VivaTech.
Propos recueillis par Isabelle Mauriac
Podcast
Retrouvez cette interview en format audio dans le cadre des podcasts Télécom Paris Ideas :
Podcast enregistré en mars 2025 par Michel Desnoues, Télécom Paris
La modélisation 3D pour la chirurgie
La technologie Visionerves est le fruit de la collaboration de plusieurs chercheurs de Télécom Paris dont les travaux ont en effet fusionné. Tout a commencé il y a une décennie, lorsqu’une chirurgienne et une mathématicienne ont uni leurs forces pour répondre à un besoin précis : optimiser l’utilisation d’un robot chirurgical nouvellement acquis par l’hôpital. L’idée était d’exploiter des modèles en trois dimensions pour améliorer les interventions chirurgicales. C’est ainsi qu’est née l’équipe de recherche Imac2, sous l’impulsion des chercheurs Isabelle Bloch (maintenant à Sorbonne Université) et Pietro Gori de Télécom Paris. Au fil des années, cette équipe s’est étoffée avec l’arrivée de doctorants et d’ingénieurs spécialisés dans la modélisation 3D. Initialement, les nerfs n’étaient pas au cœur de leurs recherches, mais cette mission s’est imposée naturellement par la suite. Aujourd’hui, les résultats de ces travaux sont exploités par la start-up Replico.
D’une façon générale, avoir accès à une visualisation 3D de l’anatomie du patient permet d’avoir une vision plus claire de la pathologie. En intégrant des informations sur le système nerveux, cette visualisation 3D offre une vision plus complète de l’anatomie du patient, permettant ainsi d’évaluer les bénéfices et les risques d’une intervention, d’optimiser la stratégie chirurgicale et de réduire le temps passé au bloc opératoire. Une opération mieux préparée entraîne généralement moins de séquelles postopératoires, un avantage crucial lorsque les interventions concernent des nerfs, dont les lésions peuvent affecter la sensibilité, la motricité, la parole ou la continence.
La technologie Visionerves se positionne comme une brique essentielle du jumeau numérique, offrant une visualisation 3D détaillée du patient. D’autres modules peuvent ensuite s’ajouter, comme les constantes vitales ou des simulations spécifiques au patient, enrichissant ainsi le jumeau numérique. Actuellement, l’équipe développe un prototype pour le pelvis, une zone anatomique complexe et fortement innervée. L’ambition est de rendre cet outil plus accessible aux chirurgiens et d’étendre la technologie à d’autres parties du corps, telles que la base du crâne ou l’épaule.
IA et rareté des données
Oui, nous utilisons un modèle d’apprentissage profond (deep learning) classique pour les principales structures anatomiques : sur un ensemble d’images nous repérons manuellement ces structures. Cela permet de construire un modèle de deep learning « intelligent », qui va pouvoir par lui-même, automatiquement, repérer sur d’autres images ces mêmes structures anatomiques. Ce processus de segmentation manuelle, coupe par coupe et pixel par pixel, nécessite une labellisation minutieuse des images. Pour les nerfs, nous avons développé une méthode d’intelligence artificielle « symbolique », qui va baser son intelligence sur un ensemble de règles qui définissent l’endroit où les nerfs passent. Ce sont ces règles-là qui vont constituer l’intelligence de l’IA, et permettre ensuite à partir d’autres types d’images, qui sont des images de diffusion, de jouer un rôle de filtre pour ne laisser que le système nerveux qui est ensuite intégré au modèle 3D des structures anatomiques.
Pour développer cette technologie, nous avons utilisé des données issues d’une étude clinique entre 2016 et 2021. Cependant, ces données ne sont pas suffisantes pour construire une méthode d’intelligence artificielle robuste qui puisse fonctionner sur un grand nombre de cas. Pour enrichir notre base de données, nous achetons des données auprès de data brokers aux États-Unis, et utilisons des données publiques pour valider l’efficacité de notre produit.
En France, les données doivent rester au sein de l’hôpital. Cela contraint les chercheurs à utiliser les systèmes et les infrastructures des hôpitaux, limite l’accès à des infrastructures plus puissantes et rend les entreprises dépendantes des systèmes hospitaliers.
La règle est la même pour tout le monde en Europe. Mais il est vrai qu’aux États-Unis, l’accès aux données est plus simple, on le voit notamment avec l’accès à des data brokers, ce qui est beaucoup plus rare en Europe.
Il est difficile d’en mesurer les impacts sur notre compétitivité. Sans remettre en cause la nécessité d’un contrôle strict sur les données…
Visionerves : quelle valeur ajoutée ?
Il y a dix ans, les modèles 3D à partir d’images médicales étaient majoritairement faits à la main par les chirurgiens eux-mêmes ou leurs assistants, qui contouraient les différentes structures d’intérêt dans les images. Avec l’arrivée de l’IA ces dernières années, ces processus se sont automatisés, et on a ajouté aux scanners à rayons X les images IRM. Mais les techniques de deep learning traditionnelles peinent à identifier les nerfs, des structures fines et difficiles à repérer.
C’est ici que Visionerves se distingue, grâce à sa capacité à faire ressortir ces structures nerveuses avec une précision inégalée.
Le brevet de cette technologie a été déposé en 2022, en collaboration avec plusieurs établissements prestigieux : Sorbonne Université, CNRS, Télécom Paris, Inserm, l’Institut Imagine, Necker, Université Paris Cité. L’équipe intègre désormais l’incubateur de Télécom Paris pour peaufiner son projet et accroître son réseau.
Après le premier dépôt de brevet, fin 2022, il y a eu le PCT (Patent Cooperation Treaty, ou Traité de coopération en matière de brevets) en 2023. Après 18 mois, à l’échéance mi-2025, nous allons déposer le brevet en Europe et aux États-Unis, ouvrant la voie à une expansion sur ces deux marchés, avec des stratégies de distribution adaptées à chaque région.
Le logiciel que nous développons est un dispositif médical qui nécessite des validations techniques avant sa commercialisation. Des études cliniques sont en cours pour démontrer sa sécurité et son efficacité ; un audit final permettra de valider ces éléments. L’objectif est de proposer le produit sous forme de SaaS (logiciel en tant que service), facilitant ainsi son utilisation par les chirurgiens sans nécessiter d’équipements lourds. Parallèlement, l’équipe continuera à développer la technologie pour d’autres zones du corps fortement innervées, comme la base du crâne et l’épaule.