Pressroom

« Demander en ami », « liker » : à l'ère des réseaux sociaux, des relations amicales en format numérique (Le Monde)

chaire vpip vignette
Les technologies numériques ont transformé les modalités d’entretien de nos interactions, devenues à la fois continues et publicisées, sur des plates-formes telles que Facebook ou Instagram. Ces nouvelles conventions sont parfois vécues comme de véritables injonctions.

[…] « Cette peur de la désocialisation causée par les technologies numériques s’installe à la fin des années 1990, à la suite de la publication d’un ensemble d’études scientifiques pourtant peu convaincantes » , se souvient Antonio Casilli, professeur de sociologie à Télécom Paris. Ces études cherchaient à démontrer que les personnes utilisant fréquemment des technologies d’échange en ligne (c’est-à-dire, à l’époque, des tchats, des forums de discussion ou des salons de jeux vidéo en ligne) avaient tendance à se désintéresser des relations en face-à-face. « Malgré la faible qualité des résultats, elles ont été constamment mobilisées par des acteurs politiques et médiatiques pour justifier l’idée selon laquelle les relations “en ligne” se traduisaient nécessairement par une perte de relations en face à face » , explique le sociologue, auteur de l’ouvrage Les Liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Seuil, 2010). […]

Or, c’est dans ce contexte qu’émergent les premiers médias sociaux numériques, comme Friendster, Myspace ou Facebook. Si la pensée selon laquelle les nouvelles technologies ne sont pas sans effets sur notre sociabilité est déjà bien ancrée, elle devient d’autant plus prégnante que ces réseaux emploient eux-mêmes un vocabulaire ambigu. Myspace ou Facebook s’adressaient à l’époque essentiellement à un public de grands adolescents et de jeunes adultes occidentaux des classes aisées : « Pour être attractives aux yeux de ces groupes sociaux, les entreprises ont utilisé un vocabulaire et une vision des relations sociales centrés sur l’amitié dans la construction de leurs plates-formes − car l’amitié était au cœur de la vie de ces jeunes gens » , relève Antonio Casilli.

Face au succès grandissant de ces espaces, il est vite tentant de vérifier ce qu’une amitié lancée grâce à une très formelle « demande d’ami » et entretenue à coups de « j’aime » ou de « pokes » a de commun avec une amitié nouée et vécue hors-ligne. Le « friending », c’est-à-dire le fait de s’ajouter mutuellement à sa liste d’amis et d’interagir sur un réseau social, présente en effet quelques spécificités par rapport aux amitiés nées d’une rencontre ponctuelle ou régulière. « Ce type d’amitié repose par exemple sur l’immédiateté − une demande est formulée, puis acceptée, et l’on est officiellement “amis Facebook” −, quand l’amitié “en présence” se construit souvent dans la durée » explique le sociologue Antonio Casilli. […]