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[Science-friction] Les IA génératives mettent-elles vraiment des emplois en péril ? (L'Usine Nouvelle)

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Société fictive d’annotation de données. MidJourney CC-BY-4.0/NC, source The Conversation.

Les IA génératives créent du texte ou des images à la demande de l’utilisateur. ChatGPT, l’une des plus célèbres d’entre-elles, est venue bousculer le secteur de l’intelligence artificielle en mettant cette techno entre les mains de tout un chacun. Ses compétences séduisent et font peur, car plusieurs études alarmistes affirment que les IA génératives vont remplacer des emplois. Au-delà du buzz, qu’en est-il vraiment ? […]
Antonio Casilli, professeur de sociologie à Télécom Paris, fait partie des experts sollicités par L’Usine Nouvelle afin de donner leur avis sur les transformations sur l’emploi induites par ces nouvelles technologies. Il met en garde sur les effets d’annonce… et d’aubaine.

[Une étude] menée par des chercheurs d’OpenAI et l’université de Pennsylvanie titrait « Comment 80 % des travailleurs pourraient être affectés par l’intelligence artificielle ». De quoi s’alarmer ? « Une étude marketing » , balaye Antonio Casilli, qui pointe à juste titre que la publication est co-signée par l’entreprise développant la solution. En réalité, l’étude est un peu plus nuancée. […]

Les cols blancs plus concernés

Pour Olga Kokshagina, enseignante-chercheuse en management de l’innovation à EDHEC Business School, et membre du CNNum (conseil national du numérique), cette transformation sera majeure. Elle parle de « métamorphose du travail » comme avec l’arrivée de l’électricité ou de la machine à vapeur. Un propos tempéré par Antonio Casilli pour qui les équivalents technologiques sont plutôt la calculette ou les logiciels de traitement de texte, qui ont simplifié certaines tâches sans faire disparaître des métiers. « Pour l’instant les études semblent plutôt démontrer que certains postes sont transformés et non pas supprimés », abonde Katya Lainé, administratrice de Numeum. […]

Une supervision intégrée ou déléguée

Des entreprises pourraient vouloir vendre des systèmes d’IA 100% fiable, qui ne le sont en réalité pas, et sous-traiter la validation des réponses du système dans des pays de main d’œuvre à bas coût. Avec un objectif pour l’instant inatteignable : parvenir à des systèmes plus performants pour lesquels la vérification n’est plus nécessaire. Dans ce cadre : « un risque de « plateformisation » de l’emploi » est présent, ajoute Yann Ferguson [docteur en sociologie et enseignant-chercheur à l’Icam, à Toulouse]. Ce terme fait références aux « gig workers », comme les livreurs Deliveroo et Uber, ou les personnes payées pour effectuer des tâches sur la plateforme Mechanical Turk d’Amazon. Pour Antonio Casilli, la transformation de la nature du travail est l’aboutissement d’un processus commençant avec l’étiquetage des données. Une tâche nécessaire pour entraîner les algorithmes d’IA mais qui n’est pas reconnue, mal payée et invisibilisée. « On dit souvent que ce travail va disparaître, alors même que j’observe une augmentation importante de ces tâches » , souligne le chercheur. […]

Un prétexte pour licencier

Les IA génératives pourraient-elles nourrir l’argumentaire des entreprises qui licencient ? Les entreprises technologiques ont multiplié les plans de licenciements au cours des derniers mois. Des annonces à repositionner dans le contexte de la pandémie et de la crise économique. Les entreprises doivent montrer aux investisseurs qu’elles sont capables de faire de la marge en l’absence de croissance (pour distribuer des dividendes aux actionnaires). Pour répondre à cette demande, le moyen le plus simple est de couper dans la force de travail, en se tournant vers des solutions technologiques. « Ces solutions sont des prétextes pour déstabiliser et précariser l’emploi » , clame Antonio Casilli. […]